Quand les petits font leur gymnastique dans le gymnase des grands

L'enfant de trois ans en situation d'apprentissage moteur

Françoise Gibert, professeur EPS, IUFM d'Orléans-Tours, site de Fondettes

I/ Introduction

Cette étude vise à illustrer l'action de l'élève de 3-4 ans en situation d'apprentissage moteur lors de séances inhabituelles se déroulant en gymnase (dispositif en ateliers « gymniques »). Elle se réfère aux théories de l'action située telles qu'elles ont été présentées par M. Durand et Nathalie Gal-Petitfaux lors de l'action de formation qu'ils ont animée en 2000-2001 et travaille particulièrement les notions de signification, d'interaction et de typicalité.

II/ Dispositif matériel et pédagogique

  • une classe de PS/MS (16 petits et 10 moyens)
  • 4 séances de 45 minutes se déroulant en gymnase
  • 5 ateliers conçus autour d'actions de type gymnique (franchir/sauter ; tourner/rouler ;se déplacer en équilibre ; se balancer ; se suspendre/se renverser)
  • une séance de langage dans la classe articulée avec le vécu corporel des enfants
  • un intervenant, des observateurs

III/ Observations

Les séances filmées, les bilans (intervenant et observateurs), les séances de langage en classe ont permis de dégager des éléments de réflexion organisés autour de trois axes

1. signification et construction de sens :
L'engagement de l'enfant se fait de manière essentiellement affective (perception et émotion priment largement). Le sens donné à l'action peut être en parfait décalage avec l'intention de l'enseignant

2. interaction :
Le rôle de l'enseignant se différencie progressivement: l'enfant attend de lui qu'il soit une présence sécurisante, un témoin de ses réalisations, une mémoire.
Le dispositif en ateliers comme les rituels sont des éléments très structurants(différenciation des actions et des apprentissages
Les posters et les séances de langage qui s'y réfèrent permettent de préciser les connaissances sur l'activité, de développer les capacités à se décentrer de l'activité vécue et à la conceptualiser pour la communiquer

3. typicalités
Sur le plan organisationnel, l'élève participe et agit s'il est accompagné, guidé (repères. spatio-temporels stables et lisibles)
Sur le plan des apprentissages, il fait de nombreuses expériences personnelles avant de réaliser des actions en adéquation avec le dispositif. Il procède principalement par imitation et/ou reproduction

Ce travail se réfère au champ théorique de l'action située. Il tente d'illustrer l'action de l'élève de trois et quatre ans (petite et moyenne section d'école maternelle) en situation d'apprentissage moteur, la place et le rôle du langage oral.

1. Le contexte :
Quatre séances d'EPS, réparties sur trois semaines, ont été conduites dans un classe de petits (16 élèves) et de moyens (10 élèves). Elles se déroulaient dans un gymnase; cinq ateliers conçus autour d'actions de type gymnique étaient proposés :

        • franchir, sauter en contrebas
        • tourner, rouler
        • se déplacer en équilibre
        • se balancer
        • se suspendre, se renverser

Ces séances étaient suivies, en classe, d'une séance de langage ancrée sur le vécu corporel des enfants au gymnase.
Pour les élèves (trois groupes de petits et deux groupes de moyens), l'activité était nouvelle, le fonctionnement en ateliers tournant également. Cependant, les groupes étaient constitués depuis longtemps et fonctionnaient de manière régulière en classe.
Du point de vue de l'analyse, les séances de langage en classe ont permis de dégager des éléments de réflexion organisées autour de trois axes :

        • significations et construction de sens pour l'élève
        • interactions et principalement le rôle de l'enseignant
        • typicalités sur le plan des modalités organisationnelles et celui des apprentissages (acquisitions motrices et langagières

       

2. La construction de sens pour l'élève

2-1 Les observations faites par l'enseignant au cours des séances ont montré :

au début nous avons noté

        • une participation active avec exploration parfois hardie
        • une grande attention au moment des rotations. Elle a diminué au fil des séances attestant, de la part des élèves, d'un intérêt plus important pour l'action que pour l'organisation
        • des appels fréquents pour dire « regarde ce que je fais » très vite il est apparu
        • une excellente mémorisation de l'organisation, des modifications du dispositif, des contenus (échauffement, actions repérées)
        • un intérêt différent selon les ateliers (privilégiant la hauteur, l'inconnu, la prise de risque
        • mais aussi, pour les plus jeunes, un « retour » sur des actions non gymniques plus familières de type manipulations ou jeu symbolique

 

2-2 Place et rôle du langage

En cours de séance, l'enseignant utilise le langage pour

      • la présentation de la séance (repérage du dispositif)
      • la passation des consignes (tâche, organisation, sécurité)
      • les échanges individuels

Il a une fonction principalement régulatrice

L'élève utilise le langage pour

      • informer (regarde, j'ai fait... )
      • exprimer une émotion, dire une intention

       

Il a une fonction principalement informative, personnelle

Après la séance, au moyen d'oral collectif ou de dictée à l'adulte, le langage permet :


Il a une fonction instrumentale

Il a une fonction personnelle

Pour conclure, au fil des séances, les intentions et les actions des élèves se précisent ; les émotions se parlent et s'explicitent progressivement. Aucune interprétation du vécu n'est faite à cette étape. Par ailleurs, le langage structure l'action, principalement sur les plans cognitif et socio-affectif.

3. L'enseignant comme personne ressource, les interactions adulte-enfant.

3-1 Pendant la séance, l'enseignant est une présence physique et disponible dans

      • l'aide active ou guidée par le langage
      • un placement adéquat, rassurant et assurant la sécurité
      • l'observation des réalisations de chacun (il est le témoin des prouesses)

3-2 Il est le guide et l'accompagnateur des apprentissages

      • - au cours des rituels (échauffement, regroupements, rotations, rangements) qui constituent les repères spatio-temporels structurant l'activité
      • - par un questionnement précis et des échanges sur
        • l'observation du dispositif (en place ou à l'aide de posters)
        • les contenus (de l'échauffement, des ateliers), avec appel à la mémoire
        • les consignes de sécurité

3-3 En classe, les temps collectifs de langage autour de l'activité permettent une mise à distance de l'activité ; ils développent la capacité à conceptualiser (ex: j'accroche mes jambes à la barre pour faire le cochon pendu) et l'acquisition de connaissances sur l'activité (exemple sur le registre lexical : plinth et non canapé)

Pour conclure, pour un élève de 3-4 ans, l'enseignant représente

        • la sécurité
        • la mémoire du travail réalisé
        • le témoin des réussites et des apprentissages

Au fil des séances, son rôle se différencie, l'élève prend confiance, aquiert une certaine autonomie .... On peut même aller jusqu'à dire que c'est l'élève qui « apprend » au maître au sens entendu par Bruner « enseigner, c'est aller à la rencontre de l'autre > ; en effet, les intentions de l'enseignant sont souvent contrecarrées par les réponses des élèves (matériel détourné de l'utilisation prévue ; les anneaux par exemple), il doit ajuster, modifier, remédier.

4. Les typicalités.

4-1 sur le plan de l'organisation

Les élèves ont besoin d'être accompagnés dans le temps et dans l'espace. L'organisation en ateliers a nécessité

      • des groupes de couleur permanents
      • un fléchage au sol (rotations)
      • un balisage clair des zones de regroupement et des points de départ On observe, au début, une organisation « sur le tas ». C'est l'effet
      • d'un manque d'autonomie
      • de problèmes de mémorisation par manque de repères
      • de déstabilisation par trop d'inconnus (exemple, les difficultés à comprendre le sens de l'atelier tapis)

4-2 Sur le plan des apprentissages

4- 2- 1 d'ordre moteur

    • l'élève fait ce qu'il sait déjà faire (ex: sauter, se rouler par terre), mais il adapte son action au matériel proposé (ex: l'espace entre deux tapis devient une rivière à franchir)
    • il imite fréquemment l'enfant le plus proche de lui
    • il reproduit ce qu'un autre lui montre ou lui demande
    • il invente (là ou dans un premier temps une action spontanée ne vient pas)

Les progrès vont dans le sens

    • quantitatif (beaucoup de répétitions de la même action au début)
    • qualitatif (amplitude et coordination)
    • d'une adéquation progressive action/matériel (les cordes, par exemple, ne servent à se balancer qu'à la troisième séance pour la majorité)
    • en fait, l'élève fait de nombreuses expériences personnelles avant de réaliser des actions en adéquation avec le matériel

4- 2- 2 d'ordre comportemental

On observe que les élèves n'enregistrent et ne respectent qu'une consigne d'attitude à la fois, exemple : séance 1, je change d'atelier au signal ; séance 2, je ne saute sur le tapis que s'il n'y a personne

4-2-3 d'ordre cognitif

    • - les élèves expriment l'idée d'apprentissage en termes très personnels (j'ai fait, j'ai réussi, j'aime... )
    • - ils définissent l'activité gymnique , par les actions liées aux différents matériels, par les prouesses exprimées en termes anecdotiques, imagés, ou en référence à une pratique sociale (faire comme tarzan, faire des galipettes, faire l'acrobate... )

Pour conclure,

      • les élèves ne s'organisent comme le souhaite l'enseignant que s'ils sont accompagnés et guidés ; que lorsque les changements sont peu nombreux (importance de la stabilité du dispositif) ,
      • les apprentissages se font principalement par adaptation, imitation et reproduction

5 - conclusion générale

S'il ne fallait retenir de ce travail que quelques éléments clés de nature à fournir des indications pédagogiques simples pour l'enseignement de l'EPS en petite et moyenne section d'école maternelle ; ils seraient

5-1 pour les apprentissages moteurs

    • l'importance , voire la primauté du dispositif en termes de repères spatio-temporels stables
    • l'indispensable disponibilité de l'enseignant pour ajuster et négocier les situations en adéquation avec les perceptions de ses élèves
    • la primauté, du point de vue des méthodes, de l'agir (par adaptation, imitation, reproduction)
    • les moteurs de ces apprentissages sont: le plaisir du mouvement, la jubilation de la répétition, le sourire et l'encouragement de l'adulte

5-2 pour le développement des compétences langagières

    • au fil des séances, l'enfant parle de lui, mais dans un projet collectif
    • par la dictée à l'adulte (compte rendu, écrit, mémoire), il se décentre progressivement, passe de l'implicite à l'explicite, prend en compte l'interlocuteur, apprend à décrire, préciser, ordonner, élabore de nouvelles compétences face à l'écrit.


Références bibliographiques

Levine J. ; la notion de « minimum de reconnaissance du moi » ; revue « Je est un autre » ; n° 7, Juin 1998

Reymond - Rivier B ; « le rôle des relations entre enfants dans le développement social » ; in « l'activité ludique dans le développement psychomoteur et social des enfants » ; numéro hors série ; revue « Vers l'éducation nouvelle » ; éditions du scarabbée ; C.E.M.E.A ; 1991 ; pp143-153

Quelques images des séances.

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